Pierre Simon, passionné de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Cotentin. Pierre se livre sur cette période cruciale du Cotentin et sur son attachement au territoire.

Ecoutez l'interview de pierre simon en podcast

On se retrouve aujourd'hui à la batterie des Coupléts, sur les hauteurs d'Équeurdreville, avec une vue imprenable sur la Rade de Cherbourg. Comment allez- vous aujourd'hui ?

Fort bien, sous un soleil radieux, avec une vue extraordinaire. Heureux. 

Pour commencer cette interview, je vais vous poser quelques questions en lien avec le Cotentin. Vous choisissez la réponse qui vous convient le mieux et vous pouvez, si vous le souhaitez, nous expliquer pourquoi.
C'est parti ?

Très bien, c’est parti !

Vous préférez le Cotentin en été ou en hiver ?

Les deux. J’aime le Cotentin en été pour son climat, pour sa mer. Et en hiver, pour ses paysages extraordinaires de pluie, de grains qui arrivent. C’est une région qui, du mois de janvier au mois de décembre, est toujours extraordinaire.

Vous êtes plutôt plateau de fruits de mer ou produit du terroir ?

Plateau de fruits de mer.

Randonnée ou sport nautique ?

Plutôt sport nautique.

Littoral ou bocage ?

Littoral.

Artisanat ou patrimoine ?​

L’artisanat, il est bien quand il sert le patrimoine.

Cidre doux ou brut ?

On déguste un cidre doux ou un cidre brut avec des choses particulières et j’aime résolument les deux.

Musée ou plage du Débarquement ?

Pour bien connaître les plages du Débarquement, il serait intéressant de pouvoir passer dans les musées avant ou après, parce que les musées donnent vraiment un éclairage spécial sur ces lieux de patrimoine historique.

Merci beaucoup pour ces réponses. Je vais vous proposer de vous présenter, de nous dire un peu plus qui vous êtes et de nous expliquer aussi votre lien avec le Cotentin

Alors mon lien avec le Cotentin, c’est que j’y ai vu le jour dans les années 60 à Cherbourg. J’y ai toujours vécu et je me suis toujours intéressé à l’histoire militaire. Ayant eu un père qui a commencé sa carrière dans l’artillerie, et je me suis intéressé bien évidemment à l’histoire militaire locale depuis très longtemps, et ça en fait, c’est une passion assez dévorante, mais qui est intéressante parce qu’il y a, il y a vraiment beaucoup de choses à voir et qu’on ne voit pas forcément du premier coup.

Donc, vous, ce qui vous intéresse, c'est d'en savoir plus, pas seulement ce qu'on nous donne, mais d'aller un petit peu plus loin.

C’est ça, savoir comment ça s’est passé. Le côté humain de l’affaire par exemple, quand on voit tous ces bunkers qui ont été érigés ici par les Allemands ou par les Français,  c’est intéressant de savoir comment ça a été monté, pourquoi et en fait que sont-ils devenus ?

Aujourd’hui, on va parler plus spécifiquement du Cotentin pendant la Seconde Guerre mondiale. Est-ce que vous pourriez nous repositionner un petit peu ? Le contexte historique dans lequel se trouve le Cotentin au moment de la guerre ?

Alors au début de la guerre, en fait le Cotentin, donc c’est une presqu’île comme tout le monde le sait. Le territoire s’est trouvé coupé de tout puisqu’avec l’arrivée des Allemands, en fait, il a fallu que les populations civiles, un peu comme partout en France, fassent un exode vers le Sud. Et on s’est vite rendu compte que les troupes allemandes. Étaient les plus modernes de l’époque en 1940 et on a vu arriver, on a vu déferler en fait des blindés, mais aussi des troupes hippomobiles qui se sont vite rendus maîtres du terrain. Et à part quelques petites résistances, notamment au pont de Martinvast. En fait, l’Allemagne s’est vite rendue maître du terrain et d’ailleurs, Cherbourg a été déclarée ville ouverte le 19 juin 1940.

Comment les villes du Cotentin ont été affectées par la présence allemande ?

La présence allemande s’est très vite fait sentir, notamment par les privations que ça a engendrées, puisqu’en fait la population avait du mal à se nourrir et a été rationnée, et il fallait user un petit peu d’astuce pour pouvoir arriver encore à manger. La grande priorité de cette époque-là, c’était la nourriture, pouvoir se nourrir et nourrir sa famille à ceci près que la population locale pouvait justement utiliser les ressources de la mer jusqu’à un certain moment puisque toute la zone côtière a été déclarée zone rouge par l’occupant. Il n’était plus question d’aller chercher des crabes ou même des chapeaux chinois sous les rochers ou sur les rochers du Cotentin. Et du coup, c’était un peu plus difficile. Beaucoup de gens ici pratiquaient également un petit peu une culture. Une culture, notamment, on, pouvait-on quand même trouver encore des fruits et légumes. On pouvait se mettre à cultiver les rutabagas, c’était la grande mode de l’époque. Des légumes de second ordre, on faisait du café avec de la chicorée. On détruisait ces mégots pour refaire des cigarettes de façon à pouvoir fumer, bref, tout manquait.

Mais vous pensez que faites qu'on soit quand même un territoire avec lequel la pêche est prédominante, tout de même l'agriculture assez forte a pu aider en effet la population locale à survivre mieux que juste avec le rationnement.

Alors oui, la population locale ici, du fait de notre climat, bien tempéré, il n’était pas rare que dans le plus petit des jardins, on y fasse un potager de façon à pouvoir se nourrir. Le souci, c’était bien sûr la viande, parce que la viande était accaparée par l’occupant, hein le mark était bien plus cher. Bien sûr que le franc qui avait été dévalué et du coup, c’était un gros problème d’approvisionnement pour la population locale.

On va maintenant parler d'un moment déterminant de l'histoire de la région, la libération. Comment se sont déroulées la libération de Cherbourg et celle du Val de Saire ?

Alors pour aller vite, on pourra en parler des heures bien évidemment, mais au matin du 6 juin, puisque ça va parler sûrement aux auditeurs. Au matin du 6 juin, je vais parler surtout de l’est du Cotentin, c’est-à-dire du Val de Saire, la 4ᵉ division américaine a débarqué et l’objectif numéro un des États-Unis et des alliés en général, c’était le port de Cherbourg puisqu’on a la chance ici de profiter d’un port à l’époque qui est un port en eaux profondes avec la rade, la plus grande d’Europe, elle l’est toujours d’ailleurs, et ce qui en fait a amené les Américains à construire le fameux plan Overlord, qui était l’invasion de la Normandie avec l’objectif « number One » comme ils disaient, le port de Cherbourg de façon ensuite à pouvoir approvisionner les troupes. Cette division est partie du 6 juin de la plage de la Madeleine, Utah Beach, qui est connu sous ce nom-là. Le nomde code américain et du coup, on est remonté par Montebourg où il a fallu se battre assez longtemps avec les troupes occupantes, Quineville pareil.

Il y avait un vieux dicton qui disait « qui tient Montebourg tient Cherbourg », c’était la réalité puisqu’en fait, on s’est rendu compte que dès que le verrou, comme on l’appelle de Montebourg, a lâché à ce moment-là, les Américains ont pu remonter un peu plus au nord, en commençant d’ailleurs une bataille des Haies. C’était terrible parce qu’à cette époque-là, le bocage était constitué de haies bocagères avec des champs les uns un peu dans les autres et à chaque haie, il fallait recommencer le combat. À un prix humain terrible puisqu’en fait, il y a eu des pertes militaires du côté américain. Ils ont eu vraiment eu du mal à se remettre. Il a fallu attendre un petit peu la relève de façon à pouvoir continuer et pour faire vite donc la bataille de Montebourg s’arrêtant, on avait, les Américains avaient décidé de faire deux ports artificiels. Pas de chance, le 19 juin, grosse tempête. Les ports artificiels n’étaient plus valides et en fait, il a fallu voir le tonnage débarquer, par exemple de matériel militaire, passer de 24 500 tonnes le 18 juin à 2 500 le lendemain, donc une urgence pour les Américains de prendre le port de Cherbourg. Les Allemands ont eu le temps de bien le détruire et l’abîmer, de remplir les passes, d’obstruer tous les accès ; de pétarder quasi intégralement notre magnifique gare maritime qui maintenant est la Cité de la Mer, hein, des fleurons du tourisme nord cotentinois.

Ce qui fait que les ports de Saint-Vaast-la-Hougue et de Barfleur ont été utilisés transitoirement en attendant la libération de Cherbourg qui a eu lieu le 26 juin exactement. Mais le génie américain avait une telle tâche qu’il a fallu attendre six mois avant vraiment que le port de Cherbourg devienne cette fois-ci encore une fois le plus grand port du monde puisque là, on avait un tonnage extraordinaire. Et une noria de camions, la Bigaouette Ball, qui partait quasiment jusqu’à Paris et même plus loin de façon à pouvoir approvisionner l’effort de guerre américain et anglais.

La population locale a pu retrouver une vie, on va dire proche de ce qu'elle était avant à peu près à quel moment ?

Dès l’arrivée des Américains, en fait cette quasi-famine dans lequel le peuple vivait a été transformée en opulence avec du chocolat, des cigarettes, des sucreries, de la viande et du coup, on a vu que le port de Cherbourg justement a pu réussir à assurer son trafic de façon à ce que l’effort de guerre des alliés puisse continuer jusqu’à Paris d’abord, et jusqu’au nid d’aigle, de façon, enfin, à pouvoir mettre la bête nazie à genoux.

Aujourd'hui, on se trouve à la batterie des Coupléts à Equeudreville-Hainneville, un lieu où il y a des vestiges de la guerre. Donc ces vestiges, c'est aussi la mémoire de ce qui s'est passé dans le Cotentin. Vous, si vous aviez des lieux à recommander pour les auditeurs, des musées ou des sites qui permettent d'entretenir ce devoir de mémoire et de se renseigner également sur l'histoire, quel seraient-ils ?

Alors, j’ai beaucoup d’amis parmi les musées locaux, je ne voudrais oublier personne. Il y a vraiment énormément de choses à voir.

On peut commencer par un des plus anciens, le musée de la libération à Cherbourg. Mais se trouvent des musées extraordinaires un peu partout, vous avez notamment le Normandie Victory Museum, le Deadman’s corner Museum. Le Musée Airborne bien sûr, qui compte parmi les premiers plutôt sur l’effort de guerre, cette fois-ci aéroporté des parachutistes de l’assaut, énième et de la 4 22ᵉ airborne. Et on a des musées qui, pour moi, sont importants. Et qui sont, qui sont un petit peu plus discrets. J’entends par là notamment le musée Cobra qui se trouve à Saint-Sébastien de Raids, à côté de Périers, que je recommande particulièrement parce que c’est réellement un musée sympathique. Et si vous avez la chance que le maître des lieux vous en fasse la visite, ça devient hyper passionnant.

Et en plus, c'est un peu ce que vous disiez. Chaque musée, finalement, aborde aussi un point de l'histoire de manière différente, donc chacun sont intéressants à leur manière.

C’est ça, chaque musée a un peu ses spécificités, ses spécialisations et un petit peu aussi un point de vue différent sur les combats. On pourrait citer aussi bien sûr le musée de Quinéville qu’il ne faut pas oublier. On en a encore évidemment, je dois en oublier forcément quelques-uns. Ils m’en excuseront. Il y a vraiment plein de choses à voir à ce niveau-là

Surtout ne pas oublier, aller voir les lieux des combats, notamment les plages du Débarquement, les plages américaines chez nous, Utah beach et Omaha. Omaha, dites la sanglante, parce que évidemment, ça s’est nettement moins bien passé que sur la plage d’Utah Beach puisqu’ils ont trouvé des défenses terribles. Les troupes alliées avaient la chance d’avoir une couverture aérienne bien plus importante que ne pouvaient le faire les Allemands puisqu’il y a un rapport de un à 11, je m’explique, quand vous avez 10 avions allemands, vous en avez  110 Américains, ce qui fait qu’en fait le plan de défense des bunkers qui étaient derrière les plages du débarquement a été complètement chamboulé parce que bien évidemment, quand les blindés sont arrivés en renfort, ils se sont fait littéralement terrasser par l’aviation alliée qui les a cloués au sol.

Et on parlait de devoir de mémoire, comment on peut entretenir ce devoir de mémoire, notamment auprès des futures générations ? Comment les intéresser à ce point de l'histoire ?

Il faut à mon sens bien leur raconter l’histoire, ne rien oublier, ne surtout pas oublier le sacrifice de ces jeunes gens du Connecticut et d’ailleurs, qui sont venus mourir sur nos plages pour notre liberté. Si on est libre à l’heure actuelle, c’est encore et toujours grâce à eux.

Ce devoir de mémoire peut surtout aider à leur faire comprendre, à leur faire toucher du doigt que surtout, ça ne doit jamais recommencer.

Ça, c'est le plus important.

À mes yeux, oui.

En tant qu'ambassadeur du Cotentin, vous aux personnes qui nous écoutent, qu'est-ce que vous pourriez leur dire ? qu'ils soient cotentinois, qui aimeraient redécouvrir leur territoire ou les visiteurs qui pourraient venir ? Qu'est-ce que vous diriez sur le Cotentin ?

Alors le Cotentin se renouvelle à chaque fois, l’histoire étant toujours la même, on a toute une population d’amateurs d’histoire comme moi qui en fait à chaque fois arrivent à redécouvrir des choses. On a les archives américaines qui se sont ouvertes. On peut chercher un tas de choses déjà sur le net, mais vraiment, vraiment, j’insiste, le mieux, c’est de venir voir sur place, rien que l’émotion qu’on a en arrivant à Omaha Beach, à la pointe du Hoc, à Utah Beach. C’est extraordinaire. Cela vous prend, ça vous prend les tripes, on ne sait pas pourquoi. Mais on se retrouve dans l’histoire et il suffit de très peu d’imagination pour imaginer ce que ça a pu être comme champ de bataille.

Pour finir, est-ce que vous auriez une bonne adresse locale, un coup de cœur local à nous partager ?

Moi, je recommande un livre « Et la liberté, vint de Cherbourg » de Robert Lerouvillois, qui concerne la libération de Cherbourg et à chaque fois que j’en ai la possibilité, j’en fais un peu la réclame, comme on disait à l’époque. On a vraiment tout à l’intérieur justement pour voir quel choc ça a pu être, notamment pour les armées, mais aussi la population locale du Nord Cotentin.

Écoutez Pierre, je vous dis un grand merci. C'était très intéressant de plonger un peu dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale dans le Cotentin.