Un monde hostile

Toujours entouré d’une houle blanche, plus ou moins forte, le phare de Goury trône tout au bout du bout, à Auderville. Haut de cinquante mètres, il fut mis en service dès 1837. Auparavant, en une seule année, vingt-sept navires avaient sombré dans les parages. Face à lui, le raz Blanchard, l’un des courants de marée les plus forts d’Europe. Entre le cap de la Hague et l’île d’Aurigny, le passage dit de la Déroute est connu de tous les marins pour ses violentes tempêtes et la force de ses courants. Un monde brutal à l’opposé du monde poétique de Prévert, le voisin d’en face. « Le Raz Blanchard est un monde hostile, raconte Cédric, pêcheur de homards. Il y a toujours des vagues, même les jours sans vent. »

Voir une tempête au large du port de Goury reste un spectacle inouï. Les flots soulèvent des barres d’écume qui font blanchir la mer. Quand elle se calme, les paysages gardent autant de force.

Du fait de sa position géographique, la côte audervillaise a connu tout au long des temps un nombre important de naufrages. Les vents du large, les nombreux écueils en mer, les courants très forts sont de grands risques pour la navigation.

En 1823, en une seule année, 27 navires ont sombré dans les parages. Au nombre de ces naufrages, il faut relater celui du paquebot «Paris» qui, de retour d’Amérique, transportait de nombreux passagers dont Monseigneur de Cheverus. Le prélat, qui fut le premier évêque catholique d’une paroisse de Boston aux États-Unis, rentrait en France. Le premier contact fut plutôt rude et pénible sur les rochers du Cap de la Hague. Transporté à dos d’homme à travers champs jusqu’au presbytère d’Auderville, trempé et épuisé, il trouva abri et réconfort. Ceci se passait dans la nuit du 31 octobre 1823. Le lendemain, 1er novembre, il présidait la cérémonie de la Toussaint, en l’église de la paroisse.
Ces pertes de navires et de vies humaines sur nos côtes devaient finir par alerter l’opinion publique et les autorités maritimes. C’est ainsi que peu de temps après le naufrage du «Paris», la construction d’un phare fut mise à l’étude.

Il fut décidé que cet ouvrage serait construit sur un rocher situé à 800 m. du littoral connu sous le nom du Gros du Raz. Le chantier débuta en 1834 et nécessita une main-d’oeuvre importante pendant 3 ans. Le granit, en provenance de Diélette, était travaillé à Goury, acheminé sur le site et hissé sur la construction à l’aide d’un système de palans actionnés par une grande roue dans laquelle avançait une jument («la chambre à la Belle»).

En 1837, la construction de cette tour de granit est terminée. A 48 m de hauteur, elle sert de support à une lanterne munie de puissantes lentilles. Cette lanterne a un mouvement de rotation continu au rythme d’un éclat blanc toutes les 5 secondes (EB5S).

Depuis le début du XXème siècle, un signal sonore a été ajouté au signal lumineux : En cas de brouillard, une sirène diffuse un écho dont les ondes se répercutent à la surface de la mer, précieux indicateur de position pour les navigateurs.

En 1940, le phare fut occupé par les Allemands. Il resta éteint jusqu’au 1er juillet 1944, date de sa libération.
En 1971, il est électrifié et automatisé en 1989, les derniers gardiens partent en mai 1990.